Correspondre avec une personne incarcérée

Extraits du chapitre 6 intitulé « S’organiser et communiquer » du livre.


De manière générale, il semblerait que de nos jours on écrive moins de lettres, la correspondance papier étant supplantée depuis quelques années par l’immédiateté et la brièveté de courriers électroniques et autres mini messages échangés entre téléphones portables. C’est un fait.

Dans les cercles militants, l’habitude a par ailleurs été prise de témoigner sa solidarité à travers notamment les caisses anti-répression ou les cagnottes qui ont fleuri ces derniers temps. Elles permettent d’aider financièrement les prisonniers et les prisonnières en payant les avocats ou en permettant de cantiner, et ce de manière quasi anonyme ou sans avoir à s’engager plus avant. Néanmoins, la nécessaire solidarité financière n’aide pas les emmuré·e·s à garder le contact avec l’extérieur. Plus nous serons nombreux et nombreuses à écrire à l’intérieur, moins cet acte pourra être utilisé contre nous par la répression. Plus nous écrirons aux prisonniers et aux prisonnières, plus nous atténuerons l’isolement dont ces personnes font l’objet. En conséquence, moins nous aurons peur de prendre le risque d’être incarcéré/e/s à notre tour. En plus de briser la solitude, écrire en prison montre à l’administration pénitentiaire et aux autres prisonniers et prisonnières que quelqu’un·e à l’extérieur est attentif ou attentive à ce qui se passe à l’intérieur, et qu’ils ne peuvent pas faire ce qu’ils veulent en toute impunité. Aussi écrire contribue-t-il à redonner de l’autonomie aux prisonniers et aux prisonnières. Plus nous entretiendrons des correspondances entre le dedans et le dehors, plus nous rendrons poreux les murs infranchissables des taules. C’est une manière, à la mesure de chacun et de chacune, de lutter contre les prisons et le monde qu’elles protègent et renforcent.

Comment commencer ? Quoi dire dans la lettre ?

Écrire pour la première fois à un prisonnier ou à une prisonnière, tout comme lui écrire une première lettre peut s’avérer intimidant. Ce n’est ni simple ni évident. Nous nous demandons toujours ce que nous pouvons bien lui raconter et nous craignons souvent de n’avoir rien d’intéressant à dire ou à partager. Pire encore, nous avons peur de le froisser en évoquant notre quotidien à l’extérieur. Que l’on se rassure : nous avons sûrement beaucoup de choses intéressantes à communiquer, et si on part du principe que la prison sociale s’étend au-delà des murs, la différence entre l’intérieur et l’extérieur devient une différence de degré, même si notre enfermement reste très relatif par rapport au sien.

Si on ne sait pas comment entamer la conversation, on peut commencer par se présenter, parler de la météo, de nos activités quotidiennes ou de notre difficulté à écrire. Si on n’a pas particulièrement envie de parler de soi dans les premiers échanges (et par la suite), on peut par exemple envoyer des articles, des reproductions de tableaux, des illustrations, des jeux, des tests, des dessins ou des textes ou nouvelles que l’on écrit par ailleurs. Nous pouvons engager une discussion à partir d’un livre, d’un article ou d’un film, vu ou lu, récemment ou non. On peut également décider de lire les mêmes ouvrages pour pouvoir en discuter ensuite, ou écrire sous forme d’un journal. Tout est possible.

Et puis il ne faut pas hésiter à poser des questions à son correspondant·e sur les choses qui peuvent l’intéresser en ayant toujours à l’esprit que cela ne doit pas être incriminant ou dangereux pour lui/elle : partir du principe que tout ce que l’on écrit pourra être lu par l’administration pénitentiaire. Le reste viendra assez rapidement, il nous suffira de répondre à la lettre reçue en retour. Nous n’avons plus vraiment l’habitude pour la plupart d’entre nous d’écrire régulièrement des lettres ni d’entretenir une correspondance. Mais l’inconfort ne dure jamais très longtemps et, avec le temps, on s’apercevra que l’échange deviendra plus aisé. Dans le premier courrier, ou le suivant, en tout cas assez rapidement, il est recommandé, voire important de demander à notre correspondant, correspondante ce qu’il recherche dans cet échange, quelles sont ses attentes s’il en a, ses limites, notamment en termes de sujets abordés (politiques, relationnels, confessionnels, etc.), ainsi que les nôtres, et d’indiquer la fréquence à laquelle on pense être capable d’écrire afin de définir un cadre dès le début. Cela peut paraître formel, mais ça facilite souvent les échanges par la suite. Par contre, il ne faut pas envoyer de littérature ou de matériel politique (livres, tracts, autocollants, etc.) ou pornographique si votre correspondant ou votre correspondante ne l’a pas clairement demandé. C’est aux personnes incarcérées de faire leurs propres choix quant au niveau de risque qu’elles sont prêtes à assumer, et ensuite à nous de savoir si on désire y répondre.

Pas doué·e pour écrire ? Crainte de ne pas savoir écrire une lettre complète ?

Pas d’angoisse. On écrit quelques lignes, juste un petit message de soutien sur une carte postale ou un bout de papier. Ou bien on fait tourner une carte à signer pendant une réunion, un concert ou une manif. Par exemple. Il y a sûrement plein d’autres choses encore à imaginer. Soyons inventifs et inventives.

Divulguer son nom ? Son adresse personnelle ?

Nous ne sommes pas obligé·e·s de divulguer l’adresse de notre domicile pour entretenir une correspondance avec un prisonnier ou une prisonnière. Il faut éviter d’utiliser une adresse professionnelle, mais créer plutôt une boîte postale si on en a les moyens (même si certaines taules ne les acceptent pas) ou bien utiliser l’adresse d’un lieu d’activités politique ou communautaire, syndical ou associatif. On peut également contacter une organisation susceptible de recevoir et de conserver du courrier (et si l’on est pas regardant·e, certaines maisons paroissiales par exemple le proposent). Dans tous les cas, rien ne nous empêche d’utiliser un pseudonyme. On peut indiquer à son correspondant ou à sa correspondante que l’on n’échange pas sous nom légal. À l’inverse, nous évitons de nous adresser à notre correspondant ou à notre correspondante en l’appelant par son nom d’emprunt ou son surnom tant qu’il ou elle ne l’a pas lui-même/elle-même déclaré, car cela pourrait lui être préjudiciable.

La peur de ne pas s’entendre ?

Commencer une correspondance avec un prisonnier ou une prisonnière est toujours une chose assez difficile au début. Il faut persévérer un peu pour dépasser la maladresse des premiers échanges. Si au bout d’un moment on s’aperçoit qu’il n’y a pas d’entente avec son correspondant ou sa correspondante, il est judicieux de lui écrire une lettre pour lui expliquer que l’on préfère ne plus correspondre, en lui disant pour quelles raisons, mais en ajoutant que l’on lui souhaite le meilleur, par exemple. Dans tous les cas, tenter de ne pas clore l’échange sur un silence. N’oublions pas que nous pouvons aussi envoyer des lettres ou des cartes de soutien sans engager de correspondance.

Demander pourquoi son correspondant ou sa correspondante est en prison ?

Selon comment on est entré en contact avec un prisonnier ou une prisonnière, on sait ou non pourquoi il ou elle est enfermé·e. Si nous l’ignorons, il semble pertinent d’attendre que notre correspondant·e nous informe lui-même ou elle-même du parcours qui l’a mené en détention. C’est aux prisonniers et aux prisonnières de décider s’il souhaitent ou non divulguer ce genre d’information. Si on n’est pas à l’aise avec cela, on peut choisir de ne correspondre qu’avec des personnes dont on connaît le parcours. Par ailleurs, chercher les antécédents de son correspondant ou de sa correspondante dans les journaux, sur internet ou ailleurs instaure un climat de suspicion qui n’est pas souhaitable. Cette démarche s’inscrit et contribue au système de surveillance punitive auquel nous souhaitons résister dans une perspective abolitionniste. Les accusations qui aboutissent à une incarcération ne peuvent jamais expliquer pleinement les complexités de toute affaire ni la force systémique qui amène les gens à être incarcérés. La démarche d’écrire à un prisonnier ou à une prisonnière est une démarche politique en soi et ne dépend pas forcément de la raison de leur incarcération. Pour autant, il existe des réseaux de solidarité à l’adresse de prisonniers et de prisonnières strictement politiques, selon leur obédience.

Notre correspondant·e est confronté·e en détention à un danger ou à des intimidations, à des menaces, à des brimades, à de la violence. Que faire ?

Nous pouvons nous sentir impuissant·e·s ou très limité·e·s face à ces situations. Entretenir une correspondance régulière avec des prisonniers et des prisonnières est l’une des choses les plus importantes que l’on puisse faire. Cela montre à l’administration pénitentiaire et aux autres prisonniers que quelqu’un à l’extérieur est attentif à ce qui se passe. Dans certains cas, il peut être utile d’essayer d’intervenir en faveur du prisonnier. Il faut toujours demander à son correspondant ou à sa correspondante quel genre de soutien ou de relais vers l’extérieur il/elle souhaite, soit directement par courrier, soit par le biais d’un avocat. Il est important de ne pas divulguer d’informations sur sa situation sans son autorisation explicite. Il peut en effet il y avoir des représailles de la part de l’AP ou d’autres prisonnier-es.

Si, à la demande de son correspondant ou de sa correspondante, on contacte le directeur de la prison, le SPIP (Service pénitentiaire d’insertion ou de probation) ou un quelconque organisme, il nous faut toujours conserver des copies des lettres et des enregistrements des appels téléphoniques. Il est judicieux en outre de contacter un groupe de défense des prisonnier-es actif dans la région, ou nationalement. Dans tous les cas, évitons de rester isolé·e·s. Si nous voulons le/la soutenir ou si nous lui proposons d’entamer une campagne de libération, restons très clairs sur ce que nous pouvons faire. Ne présumons pas de nos forces ou de celles des gens qui nous entourent. De la même manière, gardons-­nous d’exagérer le soutien et ne laissons rien miroiter à notre correspondant ou correspondante. On peut rapidement apparaître comme une lueur d’espoir à un·e prisonnier·e incarcéré·e pour de nombreuses années. L’espoir est important, mais il ne faut pas trop en faire car à l’inverse on peut sérieusement décevoir et déprimer la personne. Proposons un soutien à notre mesure.

La crainte d’écrire des choses qui lui portent préjudice

Toutes les lettres échangées ne sont pas systématiquement lues par l’administration pénitentiaire et, même lorsqu’elles le sont, elles le sont parfois superficiellement et leur contenu est souvent ignoré. Mais nous devons rester conscient·e·s qu’elles peuvent aussi être épluchées très attentivement et qu’elles peuvent avoir des répercussions pour notre correspondant·e – particulièrement pour les personnes qui n’ont pas encore été condamnées ou qui sont en attente de libération ou de libération conditionnelle. Dans certains cas, la correspondance peut être également incriminante pour nous-mêmes ou pour un tiers. On part donc toujours du principe que nous sommes lu·e·s (par un juge, par des flics ou par des co-prisonnier·e·s).

Il faut être conscient·e·s, de la même manière, de tout propos ou de toute représentation (photos, dessins, articles, livres) qui pourraient rendre notre correspondant ou correspondante vulnérable (au niveau de la justice, des matons ou des co-prisonnier·e·s), et se renseigner sur ce qui est susceptible d’enfreindre les règles de la prison dans laquelle il ou elle est enfermé·e. En conclusion, on envoie que ce que notre correspondant·e nous demande explicitement, et seulement si on a envie de le faire, évidemment.

Peur que la correspondance dérive et prenne un tour amoureux ou sentimental ?

Entamer une correspondance avec un·e prisonnier·e, c’est favoriser la possibilité d’amenuiser la distance entre le dedans et le dehors, c’est créer des relations de solidarité et du soutien en acte avec l’intérieur. Il se peut néanmoins qu’au fil du temps la nature de la relation évolue, se transforme, devienne plus ambiguë ou prenne clairement un virage amoureux ou sentimental. Le risque est évidemment inhérent à l’échange de lettres, quel que soit votre genre ou votre identité sexuelle. Il est important de poser les choses très tôt dans la correspondance et de définir ses limites sans qu’elles apparaissent comme un énième mur pour son correspondant ou sa correspondante. Si cela nous gêne, nous semble maladroit ou présomptueux, le plus simple reste de définir ces limites en termes positifs en expliquant les raisons pour lesquelles nous souhaitons entreprendre cette correspondance, en insistant sur nos motivations politiques. Mais aussi en mentionnant que l’on vit avec quelqu’un·e(s) ou qu’on apprécie son célibat, ou en exprimant clairement sa méfiance quant à ce que peuvent devenir des relations à distance ou purement épistolaires. Cela permettra de prévenir ce genre de glissement et de rappeler à son correspondant ou à sa correspondante les limites et les intentions que l’on avait exprimées au début de la correspondance. Cela n’est finalement pas si différent des relations à l’extérieur de la prison et de comment on gère ce type de situation si on se retrouve mal à l’aise avec une amitié glissant vers une relation amoureuse. Mais gardons quand même à l’esprit que notre correspondant ou notre correspondante vit enfermé·e.

Enfin, rien n’empêche finalement que des échanges d’amitié ou de camaraderie politique se transforment avec le temps et se développent dans un sens amoureux ou sentimental si ce n’est les limites que nous nous fixons. Vivons ce que l’on a envie de vivre, mais gardons néanmoins à l’esprit qu’il existe des différences de pouvoir en jeu entre le dedans et le dehors qui peuvent souvent être difficiles à négocier à la fois pour nous et pour la personne enfermée. Ne nous enfermons pas dans une relation.

Comment gérer les correspondances à caractère sexuel ?

Au regard de l’isolement social et sexuel particulièrement élevé des prisonniers ou des prisonnières, il n’est pas rare que ces derniers désirent correspondre à propos de sexualité ou dans des termes très sexuels. Ce n’est pas parce que notre correspondant ou notre correspondante parle de sexe ou de sexualité en général qu’il ou elle exprime de l’intérêt sexuel pour nous en particulier ; la correspondance avec l’extérieur est parfois le seul espace où parler de ces questions pour les personnes enfermées.Cela étant, on ne doit jamais se sentir obligé·e ou contraint·e de discuter de choses sexuellement explicites avec notre correspondant·e. Si l’on ne veut pas se retrouver dans cette situation, encore une fois, il convient sans doute de fixer ces limites très tôt dans la correspondance afin que cela ne se produise pas. Et cela permet, le cas échéant, de pouvoir rappeler plus facilement à notre correspondant·e les intentions que nous avions exprimées au début de nos échanges et les motivations qui sont les nôtres à écrire.

D’une manière générale, nous ne parlons pas toutes et tous le même langage, et certains ou certaines usent d’un vocabulaire particulièrement fleuri ou cru. Ce qui peut nous paraître offensant ne l’est parfois pas pour d’autres. Il convient d’aborder la correspondance avec un esprit ouvert, de ne pas se priver de dire les choses clairement, et notamment d’énoncer ses limites, sans porter pour autant de jugements qui peuvent avoir d’autres résonances dans le contexte pénitentiaire.Ce processus de compréhension et de composition avec l’autre est évidemment une partie enrichissante de la correspondance. Si cela ou autre chose nous pose problème, on ne doit pas hésiter à en parler et à prendre conseil autour de nous tout en conservant les règles de confidentialité qui s’imposent. Encore une fois, ne nous enfermons pas dans une relation quelle qu’elle soit, même épistolaire.

Et si notre correspondant·e nous demande de l’argent ?

C’est une question qui peut se poser puisque, comme on le sait, tout se cantine en taule. Le fait d’avoir de l’argent sur son compte permet d’acheter des timbres, des enveloppes, des produits d’hygiène, de la nourriture, notamment lorsqu’on suit un régime alimentaire spécifique, des abonnements à des magazines, un ordinateur, etc.La demande peut donc être légitime, surtout si notre correspondant·e est sans le sou et sans aucune aide extérieure. Néanmoins, on ne devrait jamais se sentir obligé·e de fournir un soutien financier, ou de se sentir mal à l’aise par rapport à cela. Il semble assez simple de se sortir de cette situation en expliquant simplement que l’on ne peut pas ou ne veut pas fournir de soutien financier. Par contre, si l’on décide d’offrir un soutien financier, il semble préférable d’être très clair avec son correspondant ou sa correspondante, ainsi qu’avec soi-même, quant au montant du soutien, et en établissant des paramètres clairs sur ce que l’on est en mesure de fournir ou non pour éviter de se retrouver dans une situation plus délicate.

Mon correspondant·e va être libéré·e et veut rester en contact ou me rencontrer

La sortie peut aussi être un moment difficile à vivre, et notre soutien est toujours nécessaire et précieux s’il est souhaité. Nous pouvons continuer de correspondre avec la personne libérée, mais une fois de plus il est nécessaire d’indiquer clairement ce que l’on est en mesure d’apporter comme aide et si on souhaite rencontrer ou non notre correspondant·e. Si l’on ne souhaite plus rester en contact avec elle, il est nécessaire de lui dire avec tact et patience en lui expliquant nos raisons (manque de temps, autres engagements, volonté de donner la priorité à d’autres personnes purgeant leur peine, etc.). Le mieux est évidemment de devancer la date de libération. Puisque nous la connaissons, choisissons au mieux nos mots et essayons de ne pas nous réfugier dans le silence.

N’hésitons pas à l’orienter vers des organismes, des groupes, des collectifs, des personnes qui pourraient l’aider sans donner l’impression de nous débarrasser d’elle. Il est recommandé de prendre le temps de bien choisir ses mots avant d’écrire, comme il est préférable lorsqu’on écrit à une personne fragilisée.

Une question très pragmatique : combien coûtent les timbres à l’intérieur ?

Normalement la même chose qu’à l’extérieur. Autant dire cher. Les enveloppes et le papier sont payants. Il ne faut pas hésiter à joindre un timbre et une enveloppe à chacun de nos envois pour la réponse ou juste par soutien. On peut mettre plusieurs timbres mais pas au-delà d’un carnet, car l’AP peut les saisir, pour éviter selon elle les trafics à l’intérieur de la taule.Dans tous les cas, il est conseillé de le noter dans le courrier, comme l’inventaire de tout ce que l’on joint ainsi que le nombre de pages de notre lettre, elles-mêmes numérotées afin que si quelque chose disparaît, notre correspondant ou correspondante le sache. Il est important aussi de bien dater notre courrier.Si on pense qu’une lettre a été ou sera interceptée, on peut envoyer le courrier en recommandé, ce qui garantit au moins que la lettre sera ouverte en présence de notre correspondant ou de notre correspondante. Il est également conseillé d’écrire une lettre auprès du directeur de la prison en cas de « confiscation » de quelque chose.

Comment obtenir des numéros d’écrous ?

Il y a parfois des listes qui circulent, des bulletins qui relaient les numéros d’écrou de prisonniers et de prisonnières, souvent politiques. Si nous recherchons le numéro d’écrou de quelqu’un en particulier, il faut connaître le nom et le prénom de la personne incarcéré·e ainsi la prison où elle est, et passer par le SPIP ou pour plus de succès par son avocat ou son avocate, sa famille ou ses proches ou un éventuel comité de soutien. Si nous ne cherchons pas à contacter une personne en particulier, mais que nous désirons correspondre avec un prisonnier ou une prisonnière, il existe des associations et des sites qui se chargeront de nous mettre en relation avec des personnes incarcérées désireuses d’échanger des courriers, comme le Courrier de Bovet.

Comment correspondre avec une personne enfermée dans un centre de rétention administrative ?

Même s’il faut considérer les centres de rétention administrative pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des prisons, il faut bien comprendre que dans ce cas l’issue de cette privation de liberté n’est pas la sortie de la personne après avoir purgé sa peine (comme dans un établissement pénitentiaire), mais possiblement l’expulsion du territoire. La rétention dure le temps nécessaire pour les autorités d’organiser matériellement cette reconduite à la frontière. Cette différence de perspective modifie passablement les besoins des personnes enfermées dans ces centres et conditionne différemment l’aide que nous pouvons leur apporter.

Aussi, même si cela peut rester nécessaire, l’urgence n’est pas de briser la solitude en écrivant à une personne enfermée comme en prison, mais de la soutenir très rapidement, de la rassurer autant que possible et de l’aider à lui éviter l’expulsion, notamment en la conseillant, en la mettant en contact rapidement avec un avocat ou une avocate et en entamant des démarches dès les premières heures de la privation de liberté.

Dans la majorité des cas, le temps de la rétention est beaucoup plus court que celui de la détention et n’engage pas particulièrement à la correspondance, sans compter que de nombreuses personnes ne parlent ni français ni anglais, et parfois ne savent pas écrire. Le plus urgent reste donc de leur rendre visite et de les soutenir en se rendant directement au CRA avec sa carte d’identité et le nom et le prénom de la personne que l’on souhaite rencontrer.Selon les établissements, on peut apporter des téléphones portables « simples » (c’est-à-dire sans caméra ni appareil photo intégrés), ainsi qu’une carte SIM ou des cartes téléphoniques pour qu’ils puissent communiquer avec l’extérieur. Nous pouvons aussi leur amener lecteurs mp3 ou iPod, jeu de cartes, produits de beauté, biscuits, friandises, cigarettes, tabac à rouler, etc. Par contre, l’utilisation de stylos est interdite dans beaucoup de centres, pour éviter (selon la police) le risque de mutilation ou de suicide. En réalité, les chefs de centre craignent l’utilisation des stylos pour des graffitis. Au CRA de Palaiseau, dans l’Essonne, par exemple, c’est interdit, alors que dans celui de Mesnil-Amelot, en Seine-et-Marne, c’est autorisé. Et à Lesquin, dans le département du Nord, les stylos sont prohibés, mais pas les crayons à papier… On peut prêter un stylo le temps de son utilisation, mais on doit a priori le reprendre immédiatement après.

Dans tous les cas, cette situation empêche les personnes enfermées d’écrire à leur famille, mais surtout de rédiger directement leurs recours ou une demande d’asile qui pourrait éviter leur reconduite à la frontière.

Au-delà des conseils pratiques, rendre visite à une personne sur le coup d’une expulsion vers un lieu qu’elle a fui ou qu’elle ne désire pas est toujours une situation très particulière. Car si l’expulsion « en général » ne tue pas sur le coup, elle a toujours un caractère mortifère pour une personne exilée. Ces moments sont à appréhender selon chacun·e de nous. La présence, les mots comme les silences parfois suffisent à soutenir et à aider – mais malheureusement pas autant qu’on le souhaiterait. Dans tous les cas, les visites sont des instants importants et primordiaux pour une personne en rétention.