Nous voulons mettre en question l’existence même des frontières

Avant-propos au livre par le collectif de publication.


À partir de l’été 2015, les immigrant.e.s qui tentaient de parvenir en Europe ont soudain eu droit aux unes des journaux : les tentatives de franchir les frontières, leur fermeture, la suspension des accords de Schengen, les sordides quotas de « réfugiés » que les États tentaient de s’imposer mutuellement, les milliers de mort.e.s en mer…

L’attention s’est trouvée concentrée sur les principaux points de passage des  frontières, de la Grèce à Calais en passant par Vintimille ou la Hongrie. À lire les journaux, on eût pu croire qu’il s’agissait d’une catastrophe naturelle survenant soudainement et s’abattant sur une Europe incapable d’y « faire face ».

Pourtant, bien que quantitativement inédite, cette situation n’était pas nouvelle. À Calais, la mise en place d’une « jungle » à l’écart de la ville a rappelé à certains le centre de Sangatte, fermé douze ans plus tôt. La constitution de cette jungle, d’ailleurs, n’a été encouragée que pour mieux la démanteler en octobre 2016. En trois jours,  plusieurs milliers de personnes ont été expulsées et dispersées, et la région de Calais quasi militarisée.

Pour comprendre comment on en était arrivé là, nous avons réalisé un premier entretien – publié sous forme de brochure. Puis nous nous sommes dit qu’il était fondamental de recueillir la parole des personnes en exil et des militant.e.s, de rappeler les enjeux liés à la frontière, de conserver et de transmettre cette histoire de Calais depuis une vingtaine d’années. Elle nous paraît trop importante pour être laissée aux journalistes, aux gouvernants ou aux associations humanitaires.

Nous avons alors décidé de mener d’autres entretiens. Au fil des rencontres et des discussions, une histoire de Calais cohérente et digne d’être rassemblée dans un livre a pris forme.

D’autres livres ont été publiés ces derniers mois autour de cette question. La plupart, pour nous, passent à côté de leur objet, soit en esthétisant l’horreur dans de coûteux ouvrages de photographies souvent accompagnées de commentaires lénifiants, soit en adoptant un point de vue journalistique qui mystifie la réalité en prétendant à  l’objectivité. Nous ne revendiquons de notre côté aucune neutralité : au contraire, nous voulons mettre en question l’existence même des frontières et contribuer, à notre mesure, à la lutte contre l’exploitation et toute forme de domination.

Puisse ce petit livre servir aux luttes en cours et à venir.