FAQ Chuang sur la Chine : une introduction

Voici l’introduction de la série « China FAQ » proposée par le collectif Chuang depuis 2022. Cette « China FAQ » permet de défaire les idées reçues sur la Chine depuis l’Occident et de mieux comprendre comment les travailleurs et travailleuses chinoises perçoivent elles-mêmes les formes de l’État et du capitalisme chinois. Traduction de l’américain par Pablo Arnaud.


Depuis un certain temps déjà, il est devenu nécessaire, lorsque l’on souhaite parler de « l’économie » de disposer d’une connaissance minimale de la Chine. C’est une exigence qui est même devenue incontournable ces dernières années. Aujourd’hui, il n’est pas exagéré de dire que lors de la moindre discussion politique la « question chinoise » est invoquée — c’est-à-dire un ensemble d’interrogations quant à la nature actuelle de l’État chinois, des luttes sociales dans le pays, des perspectives économiques, du déclin réel ou supposé de l’hégémonie étasunienne, du rôle des investissements chinois dans les pays en voie de développement, de l’impact de toutes ces activités sur l’environnement, etc. C’est dans la sphère médiatique que le phénomène est le plus évident, où l’on a vu émerger une forme de sinofuturisme apocalyptique pour appâter le chaland. Ici ou là ressurgissent les clichés orientalistes au sujet d’un supposé « péril jaune » réémergent, remis au goût du jour sous les traits de mythes d’un État totalitaire omnipotent cherchant à coloniser le monde au moyen de ses industries sous perfusion étatique et sa populace surabondante biberonnée à un nationalisme décérébré. Vous avez sûrement déjà eu affaire à de telles absurdités.

Si l’on remonte à leur source, ces mythes ne sont que les angoisses déplacées au sujet de la vie quotidienne dans les pays dont les classes dominantes forment la cohorte de têtes de la hiérarchie impériale, comme les États-Unis, où des politiques semblables, de bien plus vastes ampleurs, sont déjà la norme, soutenues par les variantes de nationalisme les plus violentes et virulentes. Cet État policier réellement existant a toutes les caractéristiques « totalitaires » dont les médias font étalage au sujet de la Chine, du système ubiquitaire de « crédit social » (sous la forme combinée du casier judiciaire et de l’historique bancaire), toujours biaisé à l’encontre des plus pauvres, à l’appareil carcéral le plus important de l’histoire de la planète, et la possibilité — voir l’entrain — de commettre des exécutions extrajudiciaires quotidiennement, particulièrement contre les minorités ethniques. De manière similaire, les soulèvements de masse nés des entrailles des villes désindustrialisées sont réprimés à l’aide d’un déploiement quasi militaire des forces de l’ordre, tandis que l’armée elle-même — les États-Unis disposent de la plus grande force impériale de l’histoire — patrouille les océans, dispose de bases sur tous les continents, surveille la surface depuis des satellites de guidage militaire, et se coordonne régulièrement avec les agences de défense et de renseignement affiliées pour orchestrer des coups d’État (voire des invasions pures et simples) contre les gouvernements qui ne lui sont pas favorables.

Mais la propagande sensationnaliste n’est pas la seule source de confusion au sujet de la Chine. Il est, après tout, compréhensible que celles et ceux qui sont politiquement désespérés se tournent vers des exemples lointains, que ce soit pour les diaboliser sous l’apparence de dystopies totalitaires (rendant, en comparaison, leurs propres vies plus supportables) ou d’utopies resplendissantes (offrant l’espoir d’une force agissant pour le bien dans un monde par ailleurs funeste). Rien de nouveau là-dedans en ce qui concerne la Chine. Depuis Marco Polo déjà, les communautés politiques de l’Asie orientale continentale ont rempli pour les Européens et leurs descendants coloniaux ce rôle(1). Certains projettent leurs peurs, d’autres leurs espoirs. Ceux qui craignent la Chine la représentent, usant de clichés orientalistes, sous les traits d’un empire totalitaire et obscur, disposé au chauvinisme face au reste du monde. Mais ceux qui y placent leur espoir ne font guère mieux. Et même s’ils semblent être moins conservateurs au premier abord, ils ébauchent une caricature tout aussi raciste, pour mieux la vénérer à distance, en fétichisant des aspects superficiels de la culture chinoise ou en usant d’images exotiques d’une Chine supposément « socialiste » en guise d’instruments dans la bataille politique domestique(2). Ironiquement, cette image se substitue alors aux voix mêmes que ces partisans cherchent à promouvoir : celles des administrateurs et des théoriciens politiques chinois impliqués dans ce qui est, sans aucun doute, l’un des projets d’édification étatique les plus colossaux de l’histoire. Quoi qu’il en soit, l’effet général est d’entretenir un brouillard sur l’horizon du monde, occultant tout ce qui pourrait s’approcher au loin.

À l’inverse, le but de la création de Chuang était explicitement de mettre un terme à ces mirages. Nous avons tenté de porter un regard lucide sur la Chine telle qu’elle est et de traduire les nombreuses voix de celles et ceux qui sont impliqués dans les luttes sociales dans le pays, afin d’envisager les futurs probables et de contribuer, à notre humble mesure, à la résurgence du communisme sur la surface du globe. Ce projet a nécessité des interventions complexes et parfois ésotériques en matière de théorie et d’histoire. Mais le but n’est pas, en fin de compte, de produire de la théorie communiste. Nous considérons simplement qu’il s’agit d’une étape nécessaire vers l’élaboration d’une solidarité conséquente au niveau international. Après tout, le communisme est une politique de l’action. Il ne saurait être réduit à une question de foi individuelle ou d’exégèse marxologique sans étouffer sa puissance vitale. En d’autres termes, si la théorie communiste veut être, et rester, communiste, elle ne doit pas se laisser confiner dans les prisons d’ivoire de l’université. Elle doit être arrachée aux pages des livres et jetée aux flammes et à la chair du monde. Notre but n’est pas de bâtir un édifice théorique, mais de constituer une puissance.

Le communisme est, et a toujours été, un projet international élaboré pour franchir les frontières qui nous divisent. C’est aussi une politique populaire, et non la chasse gardée d’une élite de théoriciens. Pour avoir une efficacité, la théorie doit être traduite en termes vernaculaires et présentée de manière accessible et attractive. Qu’importe d’avoir raison si personne ne vous écoute. Tout théoricien doit également se faire enseignant, traducteur et messager du savoir. En ce qui nous concerne, l’importance grandissante de la Chine dans la plus anecdotique des conversations politiques imposait de produire une synthèse simple, maniable et facilement reproductible de la perspective communiste au sujet la Chine.

Dans ce but, nous initions une série de publications sur notre blog pour répondre aux questions fréquentes au sujet de la Chine. Ce sont les interrogations auxquelles doit faire régulièrement face toute personne qui dispose de quelques connaissances en la matière. Par le passé, elles se cantonnaient aux milieux militants ou académiques. Et si certaines d’entre elles résonnent toujours dans ces sphères spécialisées, elles se sont répandues dans les médias et les interactions sociales les plus quotidiennes. Les réponses apportées ici ne s’adressent pas particulièrement à « la gauche », mais ont pour but de servir dans un environnement plus large. Elles seront toutes rendues disponibles en mandarin et en anglais [et dorénavant, en français]. Elles sont pour la plupart rédigées collectivement, mais certaines d’entre elles se réfèrent plus spécifiquement à l’expérience de nos membres chinois. Dans ce cas, nous séparons la réponse collective en autant de réponses individuelles, et nous demandons souvent à d’autres camarades chinois d’intervenir. En plus de notre série FAQ sur la Chine, nous ajouterons une entrée « FAQ Chuang » plus spécifique pour répondre à certaines questions couramment posées à propos de notre collectif.[…]


Notes

  1. C’est à cette époque que la notion moderne de « Chine » a fait son apparition en Occident, bien avant qu’elle n’émerge dans la région elle-même. Pour plus de détails, voir cet excellent article.

  2. Il ne s’agit en aucun cas d’un phénomène récent. Il a d’ailleurs été bien plus répandu au cours de la seconde moitié du XXe siècle, dans le sillage de ce que l’on a communément nommé « maoïsme ». Il existe de nombreuses histoires intéressantes sur ce phénomène. Pour un aperçu rapide, ainsi qu’une bibliographie utile, voir cet article.


FAQ Chuang sur la Chine

0- Introduction
1 – Qu’est-ce que les travailleurs chinois pensent du Parti Communiste ?
2- La Chine est-elle un pays capitaliste ?
3- La Chine est-elle un pays socialiste ?
4- La Chine n’était-elle pas un pays communiste sous Mao ?
5-