Faire tourner une maison d’édition, c’est décider de publier tel texte plutôt qu’un autre ; c’est comparer des devis d’imprimeurs et choisir si les livres seront imprimés « localement » ou dans le flou de la mention « Union européenne » ; c’est aussi trouver des moyens d’écouler ses bouquins. Tout ceci implique des relations avec des autrices, des entreprises et lecteurs, voire avec des client·e·s. Cette activité engendre pour nous des contradictions. Nous aimerions donc éclaircir certains de nos positionnements.
À propos de ligne
Nous aimons les textes qui remuent les cadres idéologiques, se confrontent à l’histoire des vainqueurs, creusent des problématiques sociales ou créent un support à nos engagements dans les luttes. Nous privilégions les écrits issus d’une expérience directe de la réalité sociale (récits, témoignages, entretiens…) et qui établissent un lien avec le présent. La Commune de Paris, ça nous intéresse, mais pas comme archive d’un temps béni, plutôt comme un outil qui pourrait éclairer des conflits actuels. Nous voulons imaginer une continuité entre passé et présent, entre théorie et pratique, pour aider à penser le monde actuel et la manière dont nous pouvons agir sur lui. Nous cherchons donc plutôt à publier des textes d’analyse de l’actualité ou d’histoire des luttes populaires et autonomes qu’on pourra relier avec le présent et qui décortiquent les contradictions internes. On exclura les regards surplombants ou extérieurs à un mouvement, comme on peut en trouver dans les travaux universitaires. Pas d’entre-soi, pas de communication pour ses pairs : un bouquin doit être une occasion de sortir de nos milieux, culturels, académiques ou militants. Nous privilégions les textes ancrés dans le réel, sans jargon, qui parlent à nos parents, à notre voisin·e ou à notre boulangèr·e.
Rapports de production, rapports à la production
Une forme de prestige lié à la « Culture » voudrait que la confection de ses marchandises se fasse avec une éthique irréprochable, à la différence de celle des smartphones, du papier cul ou des pinces à linge en plastique, dont le lourd coût environnemental est soit assumé et accepté comme tel, soit peu questionné. Le livre est une marchandise culturelle, on s’attend donc à le trouver imprimé sur du papier 100 % recyclé et non blanchi, avec une encre bio, façonné avec le respect et le savoir-faire de petits artisans locaux. Le livre est une marchandise culturelle, certes, mais il reste une marchandise, et nous sommes bien conscient·e·s qu’en faisant tourner une maison d’édition, nous participons à un processus de production et de mise sur le marché. Nous ne faisons qu’ajouter des marchandises à un monde qui croule déjà sous des tas de marchandises, et dans un monde capitaliste, l’idée d’un commerce éthique et équitable est au mieux une chimère, de toute façon une arnaque.
L’envie d’aider à faire circuler des idées reste quand même forte. Pris dans cette contradiction-là, nous nous débrouillons avec les rapports de production, d’exploitation et de marché du livre. Il nous importe de fabriquer des objets économiquement accessibles. Ainsi, le coût de nos ouvrages en librairie est de 7 € environ, 10 € pour le plus cher ; hors librairie, dans des infokiosques ou sur des tables de presse, nous les proposons entre 3 et 5 €. On essaye de faire moins cher qu’un kebab à Marseille ou qu’une pinte à Paris. Pour arriver à cela, on imprime là où c’est peu coûteux, parfois en Bulgarie, parfois en Italie…
Le livre ne nous paraît pas non plus être une marchandise à part, sacrée, hors du réel et de l’économie marchande. Ses lieux de vente ne sont pas des temples réservés, dont certains seraient plus propres que d’autres. Entre petites librairies indépendantes et mastodontes de la diffusion comme Amazon, tous, nous y compris, sommes engoncé·e·s les deux pieds et deux mains dans le caca de la marchandise.
Un dernier mot à propos de la moula : la thune brassée chez Niet! sert uniquement à l’impression et à la diffusion de livres. Le collectif fonctionne sans salarié·e·s et, nos textes étant libres, l’édition n’engendre pas chez nous de droits d’auteurs.
Éditeur power
Pour ce qui est des projets de livres, nous avançons sans objectif commercial, mais surtout à partir d’un contenu qui nous parle et nous excite. Il nous est difficile de nous prononcer sans un premier jet et nous nous décidons généralement sur manuscrit. Sélectionner des textes pour les transformer en livres nous confère une position de pouvoir. Difficile de la nier, il sera toujours bon d’en parler pour tenter de désamorcer les relations qu’elle provoque.
Sachez qu’on aime mettre les mains dans le cambouis. On aime discuter du texte, du travail sur le texte et du processus de transformation du manuscrit en livre. C’est parfois une aventure complexe et délicate, faite d’échanges, de discussions et d’aller-retour, dans laquelle peuvent s’entrechoquer des attentes parfois contradictoires pour les un·e·s et les autres. C’est un processus plein de zones indécises, sur lequel il convient de bien s’entendre avant de se lancer. Dans tous les cas, nous chercherons une rencontre avec les autrices et les auteurs.
Pour finir, sachez que le collectif Niet! se réunit tous les trois mois, et il en découle que nos réponses peuvent être longues à arriver. Vous pouvez adresser directement à nieteditions@riseup.net vos manuscrits que nous lirons avec plaisir.