Je me rappellerai toujours, un coup de cale à poncer avec le papier de verre, ça m’avait défiguré la figure. J’avais sur la joue une grosse éraflure… et j’avais gros au cœur. Et c’est de là que vraiment je l’ai pris en dégoût, ce patron, et j’ai essayé de faire tout pour nuire à son travail. »
Le récit que nous rééditons ici est la restitution d’un long entretien oral publié en 1959-1960 dans deux livraisons de la revue Socialisme ou Barbarie. Cet entretien met face à face un travailleur immigré issu d’un pays colonisé et un·e (ou plusieurs) militant·e·s révolutionnaire·e·s issu·e·s d’une nation colonisatrice. Ce cadre détermine la teneur de la discussion, en particulier la façon dont Ahmed se raconte (ou dont il refuse de se raconter).
Le récit – qui se défie des appartenances et semble rétif à toute forme d’enrôlement – pourrait se suffire à lui-même. Certains points de contexte socio-historique méritent cependant quelques éclaircissements, tout comme les raisons pour lesquelles cette intervention fut publiée par Socialisme ou Barbarie. C’est pourquoi nous faisons suivre le texte, tel qu’il fut publié en son temps, d’une postface.
Arrivé à la maison, j’ai pris le gosse et je suis descendu au café. Il y avait là une bonne femme, une grande gueule : — Ah ! le Parti communiste, moi, je suis une communiste ! Elle me dit : “Tu te rends compte qu’est-ce qu’ils ont fait, les Algériens !” — Qu’est-ce qu’ils ont fait ? — Eh bien ! ils ont manifesté, et tu te rends compte, ces putains de flics, ils ont laissé arriver juste les Algériens et alors ils ont chargé. Je dis : “Il y avait des Français ?” — Oui, seulement c’est les Algériens qui ont arraché les pavés et qui ont fait la grande bagarre. Il y avait les flics en l’air, les cars de renversés et tout le bataclan. — Ah ! je dis, c’est beau, les flics, les cars, allez hop ! On renverse tout ça. J’étais content. »