Une sorte de petit Capital illustré et appliqué à la question du logement

Avant-propos de niet!éditions. Suivi du sommaire du livre.


Une maison paraît au premier coup d’œil quelque chose de trivial et qui se comprend de soi-même. Le livre que vous tenez entre les mains montre au contraire que c’est une chose très complexe : The Housing Monster révèle les relations sociales — qui « revêtent la forme fantastique d’un rapport des choses entre elles », comme dirait Marx — dont cette maison est le produit et qui en déterminent la forme.

En ce sens, ce livre constitue bien une sorte de petit Capital illustré et appliqué à la question du logement. Mais si le premier chapitre et quelques autres passages sont théoriques et quelque peu ardus, le grand mérite de The Housing Monster est d’aborder la mécanique des rapports sociaux capitalistes en partant de l’expérience concrète et quotidienne des prolétaires — d’abord celle des travailleurs du bâtiment, puis celle de tous ceux amenés à devoir payer pour se loger. L’organisation d’un chantier de construction et la production physique d’une maison, l’embourgeoisement d’un quartier et les politiques de la ville, la sous-traitance et la spéculation, les syndicats et les luttes des travailleurs : tous ces aspects de la question du logement, qui sont généralement considérés de manière séparée, forment ici progressivement un tout. Il en émerge une critique limpide et révolutionnaire du monstre sans visage qui domine nos vies et transforme l’ensemble de l’activité humaine en accumulation de valeur : le capitalisme.

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Comme il s’agit d’une traduction, quelques précisions liminaires sont utiles à la compréhension du texte. En effet, certaines différences entre la France et les États-Unis ne sont pas seulement anecdotiques.

Par exemple, l’organisation urbaine n’est pas tout à fait la même dans les deux pays. Schématiquement, une grande ville américaine est organisée en trois zones concentriques : au centre, des quartiers d’affaires à la valeur foncière considérable ; autour de ces quartiers centraux, des quartiers résidentiels assez denses et globalement pauvres ; enfin, en périphérie, d’immenses zones de suburbs (banlieues), semées de pavillons habités par les classes moyennes, qui en sont en général propriétaires à crédit. Ce schéma tend toutefois à être bouleversé par des opérations immobilières visant à l’embourgeoisement de certains quartiers urbains. Dans le cadre de ce processus, qu’on appelle « gentrification », la population pauvre est remplacée plus ou moins rapidement par des couches plus aisées. Un tel phénomène, du reste, s’observe presque partout dans le monde.

Le système public d’assurance maladie obligatoire et gratuite, tel qu’il existe en France, n’a pas d’équivalent aux États-Unis. Sans entrer dans les détails, bornons-nous à mentionner que les deux tiers de la population américaine ont une assurance (payante) fournie par leur entreprise, et qu’un quart environ ne disposait jusqu’à récemment d’aucune couverture. La réforme dite « Obamacare » (entrée en vigueur en 2013 et postérieure à la rédaction de cet ouvrage) a quelque peu changé les choses, en obligeant toute la population à souscrire une assurance.

Aux États-Unis, les syndicats (unions), réunis dans de grandes centrales, ont un caractère corporatiste. Quand les entreprises passent un accord avec un syndicat, celui-ci devient le représentant unique des travailleurs et il négocie les conditions de travail, les salaires, etc. La reconnaissance du syndicat par une entreprise (sa « syndicalisation ») peut ainsi faire l’objet d’une lutte à part entière de la part des salariés — car dans les entreprises non syndicalisées, la protection des travailleurs est à peu près inexistante. Le revers de la médaille, c’est que les conventions passées avec les syndicats contiennent généralement des clauses de non-grève plus ou moins explicites. Par ailleurs, dans certaines branches, le syndicat dispose d’un contrôle sur le recrutement d’une partie des salariés par le biais de bureaux d’embauche (hiring halls) au travers desquels il place en priorité ses membres. Enfin, s’il défend théoriquement les droits des travailleurs, le syndicat a également pour rôle d’offrir un complément de protection sociale à leurs membres.

Une autre précision, directement relative à la traduction : les auteurs utilisent souvent, dans le texte original, l’expression « working class », qui n’a pas son équivalent en français. La working class désigne en effet un ensemble plus vaste que la seule « classe ouvrière ». Elle englobe tous ceux et toutes celles que l’on peut qualifier de « travailleurs » : les salariés (ou auto-entrepreneurs) qui, pour vivre, sont obligés de vendre leur force de travail — que ce soit en usine ou dans le secteur des « services ». Aussi, « the working class » sera traduit ici, selon les cas, par « la classe ouvrière », « la classe laborieuse » ou simplement par « les prolétaires » ou « les travailleurs ».

« Les travailleurs » et non « les travailleur.se.s » : nous avons conservé le parti pris des auteurs de ne pas féminiser le texte, justifié par le fait que le secteur des ouvriers du bâtiment est un univers essentiellement masculin. Cela n’implique pas, comme le montrent les chapitres « Macho shit » et « La place d’une femme », que ce livre est aveugle aux rapports sociaux de sexe.

Bienvenue dans les antres du monstre.

Niet!éditions


Sommaire :

Préambule

LE CHANTIER

  • Travail vivant et travail mort
  • Sociabilité, séparation et sous-traitance
  • La résistance des métiers
  • Cadence de travail
  • Sécurité au travail et autodestruction
  • Macho shit
  • Le blues du col-bleu

LE QUARTIER

  • Les prêts
  • Le foncier
  • Croissance et déclin
  • Marché immobilier et marché du travail
  • Prolétaires / Propriétaires
  • La place d’une femme
  • Communauté et marchandises

AVANCER, RECULER… OU TOUT CASSER

  • Notes sur la lutte des classes
  • Habitat collectif
  • Les syndicats
  • Contrôle des loyers et logements sociaux
  • Capitalisme d’État
  • Se débarrasser des monstres